Le train fou de la santé page
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2ème partie: Les dérives
De nombreuses dérives
font boîter le système de santé:
-L'accessibilité financière
dévalorise l'acte médical.
Une évolution est quasi-inéluctable chez ceux
qui accèdent gratuitement au système de santé:
éblouis au départ par le cadeau, ils se servent respectueusement
de leur carte santé et fréquentent peu les spécialistes.
Puis la confesse à l'oeil chez les curés du corps
commence à perdre de son aura. On y va comme on visite un
membre de la famille. Peu importe le budget qui finance ces visites
émaillées de traitements et d'examens complémentaires.
On le voit pas. On vient demander un avis sur un copain ou un autre
membre de la famille. On prend les médicaments pour les autres.
On prête même la carte santé aux parents en vacances
dans la région, il leur suffit de voir un médecin
qui ne connaît pas le titulaire de la carte.
Les excès ne concernent pas que les titulaires d'une aide
médicale. CAFAT et mutuelle permettant de se faire rembourser
l'essentiel (quasiment l'intégralité en métropole),
certains s'offrent une carrière de malade professionnel pour
pas cher. Ils n'ont même pas l'impression d'abuser. Pourquoi
se priver de l'avis de ce sympathique médecin qui n'arrive
pas à faire grand chose pour nos douleurs d'arthrose, nos
jambes lourdes ou notre aérophagie, mais qui s'efforce si
gentiment d'écouter nos plaintes, et en plus arrive à
leur trouver une justification scientifique!
A l'autre extrémité, des patients arrivent 6 mois
en retard chez le médecin parce qu'ils n'ont guère
le temps de se libérer, que la part non remboursée
de la consultation est lourde pour eux, ou qu'ils craignent d'aggraver
le trou de la sécu.
-Malgré l'aide médicale gratuite,
une grande partie de la population n'a pas un accès normal
aux soins.
La CMU française et l'AMG calédonienne payent
pour les plus pauvres, mais ceux qui gagnent juste assez pour ne
pas en bénéficier n'ont généralement
pas les moyens de payer une mutuelle complémentaire. Ils
ne viennent pas facilement chez le médecin. Pour se faire
bien soigner, mieux vaut être sans ressources qu'en avoir
un peu!
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-Le système pousse les médecins
à transformer la solidarité en vache à lait.
La CAFAT signe un chèque en blanc au médecin quand
elle assure le tiers-payant complet à certains assurés.
Pour la même maladie le renouvellement d'ordonnance sera d'1 mois
plutôt que de 3 ou 6 mois. Le discours du médecin risque
d'être moins rassurant, le travail diagnostique plus morcelé,
justifiant des consultations plus fréquentes. De même, la
déclaration de longue maladie permet d'obtenir à ses patients
le tiers-payant et de fabriquer davantage de "piliers" du cabinet
médical.
-La fixation autoritaire des tarifs
médicaux tire la qualité des soins vers le bas.
Les technocrates de la santé ont trouvé indispensable d'empêcher
les médecins de fixer librement leurs tarifs pour que la santé
soit accessible à tous. Cela semble se tenir, bien qu'il y ait
eu une époque où le médecin acceptait de soigner
gratuitement un indigent s'il le fallait. Actuellement le médecin
est devenu fonctionnaire, gagne sa vie de façon identique qu'il
soit très compétent ou non, qu'il prenne ses gardes et voie
des patients sans rendez-vous ou non. Injustice supplémentaire
en France: il existe une prime non pas à la compétence mais
à l'âge! Les médecins de plus de 45 ans peuvent encore
fixer librement leurs tarifs, pas les plus jeunes. Plus grave pour la
conduite du médecin: la tarif est identique quelle que soit la
maladie traitée et les soins prodigués. Exemple pour une
tendinite à l'épaule: faire une infiltration prend 5 mn,
le traitement ostéopathique prend 20 à 30 mn. Chèque:
c'est le même. Que va faire le médecin?
-Le médecin contrôle
des "bénéfices secondaires" à la maladie
qui perturbent sa relation avec le patient.
Arrêt maladie, certificats de dispense, obtention d'un tiers-payant
pour longue maladie ou accident du travail, inaptitude au travail, les
"avantages" de la maladie sont nombreux. Certes, se voir déclarer
inapte au travail ne semblera pas avantageux à la majorité
d'entre vous. Mais pour certains, lassés de leur boulot vers 55
ans, c'est un moyen de prendre la retraite un peu plus tôt avec
les indemnités du chômage et ce qu'on a mis de côté.
Chez les plus jeunes, les assurances permettent parfois de gagner plus
en étant arrêté qu'en travaillant! Ce "syndrome
du revenu paradoxal", connu des médecins mais rarement recherché,
rend difficile de remettre les gens au boulot! Quant à l'accident
de travail, c'est quand même plus facile de déclarer le lundi
le mal de dos qu'on s'est fait en jardinant le week-end: les soins sont
gratuits.
Dans les maladies d'évolution prolongée, en particulier
les maladies professionnelles, il est difficile de définir une
stabilisation ou une guérison: le malade perd des avantages et
parfois se "victimise" en se persuadant que son travail est
responsable de tous ses ennuis, particulièrement si le patron ou
ses collègues de boulot n'ont jamais été très
sympas... Le médecin devient ainsi non plus un soignant mais un
avocat qui remplit les formulaires offrant des compensations. Le non-dit
devient tel qu'il ne peut plus être abordé et c'est souvent
un autre médecin, spécialiste ou médecin-conseil,
qui vient donner un coup de pied dans ce château de cartes.
-L'inefficacité du système
s'accroît au fur et à mesure qu'augmente l'étendue
des soins.
Est-ce une dérive ou une constante inéluctable? Plus on
prescrit d'examens complémentaires, moins ils sont rentables. La
facile accessibilité à un scanner ou une IRM fait augmenter
vertigineusement le nombre de comptes-rendu normaux: Plus besoin de justifier
l'examen au cas par cas. La prescription devient systématique et
non plus réfléchie. En fait l'efficacité du système
de santé en fonction des dépenses suit une courbe exponentielle:
augmentation rapide au début, puis plafonnement qui ne fait plus
gagner grand-chose même en augmentant fortement les dépenses.
-Le contrôle de l'offre de soins
est inadapté.
Si les gens sont libres de s'offrir du confort, encore faut-il trouver
des professionnels disponibles. Comme personne n'a voulu fixer une limite
entre l'indispensable et le confort, les technocrates français
ont décidé il y a 15 ans de limiter la formation des médecins.
Mesure purement comptable: on évite le suicide politique en continuant
à tout rembourser, mais on limite les prescripteurs. Aucun médecin
ne peut travailler 24H sur 24. Chacun coûte tant chaque année.
En stabilisant leur nombre on stabilise les dépenses. CQFD. Le
résultat malheureusement, c'est Mickey jouant à l'apprenti
sorcier dans Fantasia 2000: une multitude d'effets indésirables.
Au final, tout le monde est perdant:
•Les patients sont perdants. Parce qu'ils ne peuvent plus voir un
médecin quand ils en ont besoin rapidement, même s'ils sont
prêts à y mettre de leur poche. Parce qu'ils voient le médecin
de plus en plus brièvement et qu'ils passent plus de temps à
faire des examens complémentaires qu'à s'expliquer et se
faire examiner. Parce qu'ils cherchent des solutions dans le monde non
médical, où ils rencontreront de tout: des gens efficaces
et honnêtes, mais aussi des aigrefins et des vendeurs de poudres
de Perlin-Pimpin.
•Les médecins sont perdants. Parce qu'à force de travailler
industriellement ils voient bien que c'est au détriment de la qualité
des soins. Parce qu'ils n'ont plus le temps de bien connaître leurs
patients, de parler d'autre chose que de la maladie. Le coiffeur devient
mieux renseigné sur la vie personnelle de leurs clients. Parce
qu'il est fonctionnarisé: tout le monde au même tarif, même
nombre de patients (le maximum) quelle que soit sa compétence.
Pourquoi s'embêter à faire des gardes ou à faire une
formation continue dans ces conditions?
•Les technocrates ont perdu parce que les dépenses ont continué
à exploser: chaque médecin s'est mis à dépenser
davantage, multipliant les consultations et compensant le temps réduit
pour chacun par des examens complémentaires couvrant sa responsabilité.
La médecine elle-même fait des progrès, traitements
et examens deviennent plus coûteux. Les comportements ne sont pas
modifiés, la limitation du nombre de médecins créant
même pour certains une névrose de surconsommation compensatoire,
comme ceux qui stockent essence et provisions à l'annonce d'une
pénurie.
-L'intérêt des traitements
n'est pas évalué correctement.
C'est un sujet délicat. Améliorer cette dérive pourrait
en créer de pires. Rentrons dans le vif du sujet par un exemple:
le bénéfice général des chimiothérapies
dans les cancers a été évalué par des scientifiques
et considéré comme faible ou inexistant sauf pour quelques-uns,
principalement les cancers des cellules sanguines. Or ces traitements
représentent un budget considérable. L'alternative est difficile:
ne rien faire. Faut-il considérer les patients comme des adultes
responsables et leur expliquer qu'il n'y a pas de traitement pour les
guérir, au risque d'en voir une partie s'effondrer moralement,
ou continuer des traitements qui leur font surtout passer une bonne partie
de leur vie restante dans les hôpitaux?
-L'industrie pharmaceutique a des
objectifs exactement contraires au contrôle des dépenses.
Comme toute entreprise cotée en Bourse, un laboratoire a pour objectif
avoué d'augmenter son chiffre d'affaires et ses bénéfices.
Comme développer un nouveau médicament s'apparente de plus
en plus à un équilibre sur corde raide, il est plus intéressant
de chercher à faire consommer davantage les produits existants,
ou de copier ceux qu'on ne possède pas. Loin d'encourager la recherche
fondamentale, le système favorise ainsi les nouvelles indications
de médicaments "sûrs", définies par des
études de moins en moins convaincantes. Il favorise aussi la pression
commerciale auprès des médecins prescripteurs. Promu PDG
d'un gros labo, je serais sans doute obligé d'agir de la même
façon. Le coupable est un absent: c'est le néant en matière
de politique de santé mondiale.
-La publicité donnée dans les médias aux erreurs
médicales crée des montagnes d'angoisse.
Le plus petit symptôme devient alarmant pour certains. Des maladies
sont carrément créées par cet état et auto-entretenues
par des réactions de tension excessives (fibromyalgie, certaines
douleurs vertébrales chroniques). On ne peut bien sûr pas
museler la presse, pas plus dans ce domaine que dans les autres. Mais
l'éthique journalistique doit être surveillée davantage
pour la santé, en chassant la tendance à la caricature et
au sensationnel. L'information peut être réellement source
de maladies graves. Si l'on vous informe que telle clinique chirurgicale
a eu des décès suspects, vous ne serez pas aussi tranquille
en vous faisant opérer, même dans une clinique complètement
différente. Que s'y passe-t-il? L'anxiété est source
de problèmes physiques authentiques. On peut mourir d'un ulcère.
La lecture de la notice des médicaments crée les effets
indésirables qui y sont inscrits. Un reportage télévisé
aggrave-t-il les problèmes qu'il rapporte?
-La position du médecin s'est
beaucoup dévalorisée.
Le monde médical se rassure à coup de sondages montrant
que 80% des gens font confiance à leur médecin (quelle alternative?)
mais beaucoup regardent le dico médical, consultent directement
un spécialiste, demandent confirmation à des non-médecins,
ou se renseignent sur le Net! La perte de confiance, les médecins
en sont en grande partie responsables, mais difficile de trouver un coupable:
leur individualisme empêche toute action concertée. Une telle
inertie les a isolés dans l'évolution du système
de santé, qui se fait sans eux. Les seules actions d'envergure
sont des grèves, comme pour toute profession qui défend
son bifteck. La situation financière des médecins n'est
pourtant pas mauvaise, malgré de grandes disparités selon
l'âge et la spécialité. Mais le boulot est devenu
beaucoup moins valorisant. Situation superposable aux enseignants. Le
médecin comme le professeur n'est plus investi de la même
autorité. L'un est attaqué en justice par ses patients,
l'autre agressé par ses élèves et leurs parents.
L'un est jugé dangereux parce qu'un traitement a eu des effets
indésirables, l'autre est soupçonné de pédophilie
parce qu'il aide un petit enfant à se rhabiller. Le salaire devient
fade même quand il a progressé nettement sur vingt ans.
-Les problèmes sociaux se reportent
sur le budget de la santé.
Enorme difficulté à gérer. Il est bien difficile
de tracer une frontière entre le bien-être physique, moral
et matériel. L'assistance médicale est intriquée
avec l'assistance sociale. Les professionnels de santé ne sont
pas que des soignants du corps, ils sont conseillers, curés, assistantes
sociales, psy, copains parfois. Ils servent de soupape de sécurité
et c'est pour cela que les gouvernements courbent le dos devant l'abyssal
déficit du monde de la santé. Tout cela est bien utile,
mais s'il faut être malade pour en bénéficier...
-Le médico-légal vampirise
la santé.
Les faits sont là. De plus en plus, médecins et patients
se regardent en chiens de faïence, doutant de pouvoir entièrement
faire confiance à l'autre. Difficile souvent de bien différencier
l'erreur médicale d'un résultat aléatoire. Le recours
ponctuel au spécialiste ne laisse pas le temps d'instaurer une
vraie relation. Les compromis sont difficiles. Les patients attaquent
en justice. Les médecins payent des assurances de plus en plus
chères. Ces frais se reportent sur les honoraires. La relation
devient commerciale. Le patient en veut pour son argent.
Si ce n'était que ça...
Les conséquences sont beaucoup plus lourdes en termes de comportement
du médecin. Le thérapeute blinde de plus en plus sa pratique
à coup d'examens complémentaires de "sécurité".
Ils sont facultatifs et de rentabilité médiocre sur le plan
médical, mais de meilleure valeur juridique qu'un compte-rendu
d'examen clinique. Le bilan complémentaire, facile à codifier
et rapide à prescrire, remplace carrément l'examen du médecin,
plus long et opérateur-dépendant. Dans certaines maladies
cet examen physique n'apporte effectivement plus grand-chose. Dans d'autres,
c'est l'élément incontournable qui met en relation le symptôme
et les lésions découvertes sur les examens techniques.
Le médecin fait en quelque sorte payer son assurance professionnelle
par la CAFAT/sécu.
Mais les organismes payeurs, en privilégiant la prise en charge
des examens coûteux au détriment du temps de consultation,
accentuent cette dérive. Il y a incitation à se couvrir,
pas à travailler juste et à être disponible en cas
de problème. C'est pourtant la meilleure protection contre les
plaintes.
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