Les "métros" débarquent
sur le Caillou 23/04/08
Commentaire d'un article paru dans Le Monde
Comment un journaliste arrive-t-il à prendre le pouls d'un pays
en quelques jours et à en faire un article objectif?
Il n'y arrive jamais,
et pond une approximation
très influencée par ses contacts locaux
et par la ligne éditoriale du journal
qui impose une certaine langue de bois.
Voyons quelles sont les déviations
qu'auraient pu découvrir les lecteurs de ce boulevard convenu
sur la Nouvelle-Calédonie:
Les "métros" débarquent
sur le Caillou
LE MONDE | 19.04.08 | 14h27 NOUMÉA, ENVOYÉ SPÉCIAL
Il est une terre de France où le chômage n'existe pas, où la
croissance est de 6 % par an. Les journaux y débordent de petites
annonces d'emplois. Les impôts sont bas, les traitements des fonctionnaires
quasiment multipliés par deux, les tracasseries administratives
inexistantes. Le soleil y brille toute l'année, la mer est bleu
turquoise, la nature luxuriante. Ce paradis est à 20 000 km et
vingt heures d'avion de Paris. C'est la Nouvelle-Calédonie.
Intro digne d'une agence de voyages!
De quoi embarquer des charters entiers d'émigrants pour une ruée
vers l'or...
La réalité:
-Une grande partie de la population mélanésienne vit sans
revenu professionnel, n'est pas comptée comme demandeuse d'emploi,
mais aurait bien du mal à trouver du travail si elle en cherchait.
-La croissance est boostée par le cours du nickel, principale
exportation.
Entièrement liée à ce minerai, elle est extrêmement
fragile,
rien à voir avec la stabilité d'une économie comme
celle de la France,
d'autant que la Calédonie n'épargne pas vraiment pour des
périodes difficiles,
ses dirigeants n'ont pas assez de poids pour cela.
-Impôts, salaires... sont vus ci-dessous.
-Soleil et mer sont un motif de déménagement pour des insatisfaits...
... qui ont généralement bien d'autres raisons que le climat.
On peut être heureux partout, cf les Ch'tis.
-Vingt-deux heures d'avion (un minimum) et des billets à 2.000€ en
moyenne, c'est une transplantation radicale du milieu social, plus ou
moins bien vécue par les familles.
Le secret commence à être éventé. Chaque
année, des centaines, voire des milliers de Français de
métropole viennent vivre sur le Caillou. Estimation basse : selon
l'Institut de la statistique de Nouvelle- Calédonie (Isee), 14
000 "métros" se seraient installés entre 2000
et 2004. Aujourd'hui, le solde migratoire oscillerait entre 800 et 1
200 nouveaux arrivants par an. Estimation haute : d'après Harold
Martin, président
(l'Avenir ensemble, centre droit) du gouvernement local, 7 500 Français
de métropole se sont installés en 2006. "C'est un
chiffre qui augmente un peu plus chaque année depuis le début
des années 1990", avance M. Martin. On imagine le bouleversement
démographique que provoque ce flot constant de nouveaux
arrivants dans un pays de 250 000 habitants.
Le "bouleversement" démographique est vécu
au quotidien comme augmentation des embouteillages.
Les communautés se mélangeant peu, les blancs se retrouvent
plus nombreux dans Nouméa sud, qui s'est fortement urbanisée,
et une ville qui avait l'allure d'une tranquille villégiature
de Côte d'Azur ressemble effectivement à une (très
petite) Nice.
Pénible quand on est souvent au volant, mais rien de différent
de ce qu'ont vécu toutes les villes françaises avec l'immigration
et les campagnes désertées.
Beaucoup de jeunes à la recherche d'un emploi tentent l'aventure.
Beaucoup d'artisans, plombiers, maçons, qui aiment le grand air
et ont l'esprit pionnier. "On manque de tout, dans tous les secteurs,
affirme Harold Martin. Dans le BTP, le tourisme, l'hôtellerie-restauration,
les services. Récemment, un hôtel de
Païta cherchait un cuisinier. Il a mis une annonce sur Internet.
Résultat : 240 réponses en trois semaines, tous des métros." La
construction de deux usines de nickel, l'une dans le Sud, à Goro,
l'autre dans le Nord, près de Koné, devrait engendrer 7
000 emplois en phase de construction, et 2 000 en phase de
fonctionnement. Sans compter les emplois induits.
La Nouvelle-Calédonie manque de travailleurs qualifiés...
... et surtout motivés du point de vue des employeurs.
Pragmatiquement, le choix est vite fait, en effet
entre un métropolitain bien formé, hypermotivé pour
s'intégrer en Calédonie,
et un mélanésien qui n'a pas été préparé aux
semaines mangées par le travail
et dont le salaire dispersé parmi toute la famille,
ne lui montre guère l'intérêt de sa productivité.
On manque des premiers,
les seconds existent pourtant,
le déséquilibre est là.
Il y a des secteurs "chasse gardée", les syndicats kanaks étant
très actifs,
que ne signale pas l'article.
A Nouméa, cet afflux de Français de métropole fait
flamber les prix de l'immobilier. En bord de mer, l'Anse Vata et la baie
des Citrons se donnent des allures de petit Nice. Des retraités
bronzés font du vélo, des militaires courent leur jogging,
les jeunes au look de surfeurs traînent leur ennui à l'ombre
des cocotiers.
Pas un Kanak à l'horizon. La richesse s'affiche sur la route qui
longe la plage : 4 × 4, pick-up "double cabine" et, le
nec plus ultra, Porsche Cayenne, dont il se vend un exemplaire par mois à Nouméa.
Les complexes du type appart-hôtel ont poussé comme des
champignons depuis 2003. Les principaux clients sont des métropolitains
en phase d'installation et des retraités de la fonction publique,
qui bénéficient ici de "faveurs". Actuellement,
4 600 personnes profitent d'un dispositif d'indexation en Nouvelle-Calédonie.
Elles n'étaient que 1 600 en 1989. Pour avoir une retraite indexée,
il suffit de résider en Nouvelle-Calédonie six mois par
an. Aucun contrôle n'est effectué.
Ici, un professeur retraité gagne 6 000 euros par mois, un colonel à la
retraite 9 000, un magistrat 10 000. Des couples de professeurs, dont
le revenu mensuel peut dépasser les 10 000 euros, rachètent
de vieilles maisons coloniales en bois dans les quartiers du Faubourg
Blanchot et de la Vallée des Colons, à Nouméa, et
les retapent. Sur les chantiers des usines de nickel, d'anciens capitaines
de gendarmerie, qui ont pris leur retraite avant 50 ans, sont recrutés
pour former les Kanaks aux métiers de la surveillance. Ils cumulent
les avantages et peuvent ainsi gagner jusqu'à 6 000 euros par
mois.
Salaires et retraites élevées sont une facette des subventions à l'outre-mer,
incitant des métropolitains aisés à s'installer
sur place
et à booster l'économie locale.
La forme comme le principe sont critiquables,
particulièrement pour le contribuable métropolitain,
à qui on ne demande pas son avis,
pour subventionner ces drapeaux tricolores plantés un peu partout
sur la planète,
qui n'offrent guère de retour sur investissement.
De ce point de vue le Calédonien est le français lointain
qui coûte le moins cher.
Notons ainsi que les salaires sont pointés dans l'article,
en évitant tout lien avec ce sujet tabou:
Le coût global de l'outre-mer (1).

Même à Bourail, la capitale des "broussards",
c'est-à-dire des Caldoches ruraux, située sur la côte
ouest de la Grande Terre, le maire, Jean-Pierre Aïfa (l'Avenir ensemble),
constate une arrivée massive de "zoreilles", comme on
appelle les métropolitains. Il en veut pour preuve les 500 voix
que Ségolène Royal a obtenues à
la présidentielle, dans une commune qui vote traditionnellement à droite.
Ils seraient déjà un millier sur les 5 000 habitants que
compte cette ville aux allures de Far West. "C'est un phénomène
qui ne peut que s'amplifier, estime le maire. Les zoreilles viennent
pour l'espace, la mer, la plage de sable blanc. Ce sont
des professeurs, des médecins, des kinés, des infirmières
libérales."
On compte 2 fois les mêmes personnes:
Les zoreilles en question sont des Nouméens qui achètent à Poé,
plage de Bourail, des résidences secondaires.
Quasiment aucun arrivant en provenance directe de métropole...
Il est vrai qu'avec une densité de 10,6 habitants au km2 et des
besoins de main-d’œuvre, la Nouvelle- Calédonie peut
en théorie accueillir beaucoup d'immigrants.
Vrai. Grande-Terre est la 3ème île
du Pacifique.
Cette note discordante n'est pas bien convaincue,
gommée par l'influence des déjà installés,
même métropolitains, qui ne souhaitent pas une immigration
massive.
Vision quelque peu égoïste qui s'oppose aux espoirs d'un
grand nombre de français.
Cela renvoie à de nombreux sujets, dont un essentiel:
La France ne serait-elle plus un pays où il fait bon vivre?
Trop de solidarité forcée?
Mais cette venue massive de Français non calédoniens inquiète. "C'est
une bombe à retardement", prédit Etienne Dutailly,
directeur du mensuel satirique Le Chien bleu. "Nous sommes dans
une spirale absurde, affirme Mathias Chauchat, professeur de droit public à l'université de
Nouvelle-Calédonie. L'Etat finance les immeubles à travers
la défiscalisation et paye ceux qui vont en profiter, les retraités
indexés. Tout cela au détriment des générations
futures, qui régleront la facture, et sans profit pour le développement
du pays. Cela prouve que l'Etat n'est pas géré." L'annonce,
faite par Nicolas Sarkozy, le 4 avril, de la fin de l'indexation des
retraites, rassure le professeur de droit, même s'il trouve que
ce n'est pas suffisant.
Vision étroitisée d'une politique de l'outre-mer qui demande
une réflexion plus générale, comme expliqué plus
haut.
A la décharge des personnes citées: le journaliste extrait
ce qui l'arrange, les phrases-chocs, d'une opinion toujours plus détaillée.
La croissance économique et l'arrivée massive des métros
contribuent à créer une bulle spéculative dans l'immobilier.
Les prix flambent et le logement social ne suit pas. Sept mille dossiers
sont en attente. Les travailleurs pauvres et les chômeurs, qui
sont tous kanaks, polynésiens ou wallisiens, sont rejetés à la
périphérie de Nouméa. Dix mille d'entre eux vivent
dans des bidonvilles dans les faubourgs de la ville. A Dumbéa,
ville au nord de l'agglomération, 20 % de la population vit dans
des baraquements.
Allez! Après la présentation "paradis océanien",
la Calédonie héberge maintenant des bidonvilles à la
brésilienne.
Il faut bien faire larmoyer un peu le lecteur métropolitain.
La réalité:
-Les 9/10èmes des habitants de HLM métropolitain déménageraient
de bon coeur dans un HLM calédonien.
-Les squats sont des baraquements occupés par des kanaks venus
des provinces mélanésiennes:
Ils ont quitté une case,
et se voient offrir à plus ou moins longue échéance
un logement social pour quitter le squat.
Aucune mensualité à payer, ne pleurnichons pas trop.
Le problème est aussi politique. Le dernier recensement disponible
prenant en compte les données ethniques, celui de 1996, donnait
44 % de Kanaks dans la population. Aujourd'hui, cette part est sans doute
plus faible. Les Mélanésiens craignent de subir le sort
des Aborigènes en Australie. Le premier boom du
nickel, dans les années 1970, avait provoqué l'afflux de
milliers de métropolitains et de Wallisiens, contribuant à affaiblir
l'influence des Kanaks.
La participation des kanaks aux affaires politiques
et économiques était
proche du zéro en 70,
elle a repris vie avec les Accords de Matignon puis de Nouméa
en 88 et 98.
Actuellement la place des kanaks est indéniable et reconnue par
toutes les autres ethnies,
sans commune mesure avec l'époque où ils étaient
fortement majoritaires.
Ce n'est pas une affaire de flux de population, mais de conviction dans
un destin commun pour tous les calédoniens.
Qu'est-ce que change une proportion de 40 ou 44% de kanaks??
De nombreux mélanésiens votent logiquement pour leurs politiciens,
tous indépendantistes (ils pensent ne pas pouvoir exister autrement),
sans être pour l'indépendance.
Cf le score d'Avenir Ensemble quand l'idée d'un destin commun
a été proposée pour la première fois en 2003.
Notons enfin que les retraités métropolitains font peu
d'enfants...
Aujourd'hui, les indépendantistes sont rassurés par le
gel du corps électoral, adopté en 2007. Celui-ci prévoit
que seuls pourront voter aux élections provinciales et au référendum
d'autodétermination, qui aura lieu entre 2014 et 2018, les électeurs
présents en Nouvelle-Calédonie depuis 1998. Les opposants à l'indépendance,
de leur côté, ont tendance à encourager l'arrivée
des métropolitains. Pour Mathias
Chauchat, cette immigration n'est ni plus ni moins qu'une "colonisation
de peuplement". Or, depuis les accords de Matignon, en 1988, la
Nouvelle-Calédonie est censée être engagée
dans un processus de décolonisation.
Xavier Ternisien
Article paru dans l'édition du 20.04.08.
Les métropolitains qui s'installent sont en bonne part des touristes
plutôt que des colons.
Ce n'est pas les avantages fiscaux qui les retiendront si surviennent
des troubles à cause de l'indépendance.
Ils sont prêts à faire leurs valises.
L'avenir de la Calédonie passe, comme toutes les terres multi-ethniques,
par l'intégration et le mélange des cultures.
Les radicalisations bloquent le processus, chacun pointant ses qualités
et esquivant soigneusement ses carences.
Cet article caricatural n'est qu'un encouragement à la radicalisation.
(1) Le coût global de l'outre-mer:
Trop vaste sujet pour être traité ici,
mais, pour la Calédonie du moins, qui est presque indépendante
de fait,
on demande au contribuable métropolitain de payer la décolonisation.
Quel est exactement le préjudice? Qui peut le chiffrer? Combien
de temps payer?
Le français du 21ème siècle est-il responsable des
actes de ses ascendants du 19ème?
On pourrait prendre son avis, au minimum...
La morale sur ce sujet est fortement influencée par le degré de
réalisation personnelle,
parfois médiocre chez le colonisé en butte au choc des
cultures.
La culpabilité française est latine,
l'une des plus fortes du monde,
et nos responsables payent la décolonisation à fonds perdus.
Les anglo-saxons auraient demandé des compensations,
comme de garder l'exploitation des minerais dans le giron national,
en impliquant au maximum le futur pays décolonisé.
Pragmatisme contre culpabilité,
faut-il s'étonner que beaucoup nous voient comme de gentils benêts?
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