2 médecines pour une culture 10/02/07
La médecine occidentale peut
apprendre de la traditionnelle.
Elle a voulu longtemps couper le malade de son environnement
personnel. Par souci de simplification. C'était l'un des rôles
essentiels de l'hôpital. Elle a fait reculer les maladies physiques,
mais a aggravé le mal-être. La médecine libérale
a eu des vélléités de corriger ce travers. Mais
les cadences et l'afflux des patients ont anéanti ses efforts.
Les psys affichent complets. Manquent de temps face à la variété des
intellects et des situations personnelles. Le devin du village se débrouille
mieux, avec des contextes plus uniformes et des procédures mieux
codifiées.
Tout semble opposer les conceptions
de la santé chez le mélanésien
et l'occidental: Pour le premier, c'est l'équilibre entre l'homme,
ses proches, sa terre, ses ancêtres. Pour le second, c'est un examen
clinique normal, une tension dans la norme, un bilan biologique sans
astérique, un forum internet qui confirme que l'on est toujours
en vie...
Les kanaks ont vu bien des leurs rejoindre prématurément
les esprits, malgré les guérisseurs. Ils ont acquis du
pragmatisme. Ils classent les maladies en 4 catégories:
1) Les maladies "normales", de cause évidente:
Intoxication alimentaire (ciguatera), maladies sexuelles, coup de chaleur,
plaies.... Traitement par les plantes, connus du plus grand nombre:
Ca reste dans le cadre familial. Equivalent de la mère occidentale
qui désinfecte elle-même les bobos de sa progéniture.
2) Les maladies du Docteur Blanc:
Imprécises avant son arrivée. Classées par défaut
dans les 2 dernières catégories. Pour le kanak, ce qui
ne se voit pas est plus grave. Un mal de tête, une sciatique, est
plus inquiétant qu'une plaie purulente. Le Blanc est assez doué pour
ce qui ne se voit pas. Il a des médicaments pour tout. Oui, mais
il ne connaît pas les maladies liées aux esprits. Alors
il est prudent de voir le guérisseur et de prendre une potion
traditionnelle, tout en allant voir le docteur.
3) Les malheurs liés à des
fautes commises:
Ce sont aussi bien des maladies que des drames personnels: échec
professionnel, affectif, disparition de personne, perte d'une récolte.
Les fautes résultent souvent d'inadvertance: oubli de rituel,
de coutume, irrespect, trangression involontaire. Les esprits des ancêtres
sanctionnent. De façon très imaginative. Parfois, aucune
relation apparente entre le trouble manifesté et la faute. Une
enquête est nécessaire. C'est plus simple quand il y a eu
contact direct avec un objet interdit / sacré: Les symptômes
sont évidents: lésions cutanées à l'endroit
du contact...
4) Les agressions par sorcellerie:
"Boucans" envoyés par un ennemi. Agression par esprit
malveillant. Les grands chefs ont des gardes du corps spécialistes
des questions mystiques.
Les catégories 3 et 4 sont soignées par les guérisseurs
/ voyants. Héritier d'une tradition transmise oralement et par
quelques carnets de notes. Ses méthodes sont secrètes.
Il connaît la procédure par vision.
En fait, l'opposition entre médecine traditionnelle et allopathique
n'est pas spécifique au monde kanak. Les occidentaux recourent
autant à leurs guérisseurs et spécialistes de l'âme,
bardés de titres plus modernes. Homéopathes, magnétiseurs,
ostéopathes, patamédecines diverses, s'offrent à traiter
au-delà du problème physique. Points communs: secret des
techniques, croyances intégristes, influence sur le patient, importance
du temps passé à la relation.
Une différence, avouons notre cynisme: Le guérisseur kanak
travaille encore pour le statut, pas pour l'argent. Les contraintes matérielles
des 2 sociétés ne sont pas les mêmes. Mais le guérisseur
kanak est le plus content de rendre service. Il ne lui viendrait pas à l'idée
de refuser un patient. Ou de lui fermer sa porte la nuit.
Qui se fait le plus plaisir au bout du compte? Le kanak récompensé à 80%
de reconnaissance? Ou le doc blanc vu comme un fonctionnaire surpayé de
la CAFAT? Question de personnalité. Ceux qui vivent par les autres
sont à la recherche de reconnaissance. Peut-être ne sont-ils
pas assez guérisseurs? Les patamédecines les en rapprochent.
En pratique, voici les écueils pour le médecin
occidental en terre kanak:
-Si la maladie traîne malgré le traitement, le kanak est
vite convaincu que le retard vient des esprits.
-Aucune notion d'évalutation chez le kanak: Quand le traitement
traditionnel est pris simultanément avec celui du docteur, la
guérison est attribuée préférentiellement
au premier. (C'est aussi vrai pour beaucoup de blancs adeptes des médecines
alternatives.)
-Le docteur ne connaissant rien à l'histoire du clan et des ancêtres,
il est incompétent dans certaines domaines. Il n'est pas "généraliste".
-Les facteurs de risque ne représentent rien pour le kanak. Les
maladies insidieuses telles que diabète, hypertension, insuffisance
rénale, ne sont pas considérées comme importantes.
Souvent seule la prise en charge à 100% assure le suivi. Prendre
sa pilule, faire sa prise de sang, permet de voir régulièrement
le docteur et de lui parler d'autres problèmes gratuitement.
Solution: Intégrer le guérisseur dans le réseau
médical classique. Reconnaître l'approche différente,
souvent complémentaire. En opposant les 2 médecines, on
prive souvent le patient des bénéfices de l'une.
Le blanc caustique dira que le guérisseur entretient des croyances
fausses chez les kanaks et l'obligation de recourir à ses soins.
Vrai. Vrai, de même, pour les patamédecines que les occidentaux
continuent à consulter après un siècle de progrès
scientifique rapide. Le rôle du médecin n'est pas d'extirper
une partie de l'inconscient de son patient, tout au plus de l'aider à la
reconnaître... s'il en est capable.
Au philosophe de faire évoluer la culture. Maître Profit
est la philosophie conquérante de l'Occident. Il envahira tôt
ou tard le monde kanak. Ne lui facilitons pas la tâche en détruisant
les piliers de la culture traditionnelle, comme le monde des Esprits,
juste pour prouver que nous sommes les plus savants.
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